Tertius Zongo : Contre-discours sur l’état de la Nation

Tertius Zongo a prononcé le 25 mars 2010 son discours sur la situation de la Nation (DSN). Et il convient de faire le distinguo entre le discours de politique générale (DPG) et le DSN. Le premier est effectué au début de la nomination du chef du gouvernement qui va à l’Assemblée nationale pour égrener son faisceau de bonnes intentions, la feuille de route à lui assignée par son patron, le président du Faso. A la différence du DPG, le DSN est un exercice d’autosatisfaction. Un Premier ministre est nommé pour faire avancer le pays et il ne viendrait à l’esprit d’aucun chef de gouvernement de s’autoflageller lors de ce discours.

Ainsi, ce DSN volumineux de 82 pages est solide et on peut écouter le discoureur sans s’en lasser surtout avec un texte aéré, truffé, certes, de citations mais pas philandreux outre mesure. Formellement, ce sont des propos bien structurés, pas étonnant pour qui a connu l’homme, qui fut l’un des meilleurs ministres, porte-parole de Blaise Compaoré dans les années 90. Communicateur redoutable, l’intéressé était donc dans son élément ce 25 mars 2010.

A titre de parallèle, son homologue de Côte d’Ivoire Guillaume Soro a pris la tête des ex-croquants nord-ivoiriens et est là où il est actuellement parce qu’il a eu bien sûr le jarret ferme, mais surtout parce qu’il “parle bien”, héritage de l’école de la FESCI. Sur le plan de la forme, ce DSN est une belle œuvre, un agencement intellectuel, ce qui est déjà à saluer, si l’on se réfère aux batailles procédurales en justice qui prouvent que la forme compte aussi bien que le fond. Un fond ici qui n’est pas exempt de lacunes. C’est donc un contre-discours sur l’état de la Nation que nous allons élaborer en prenant le contre-pied de certains aspects de cette radioscopie de l’Etat burkinabè, version 2009.

- De la démocratie au Burkina Faso, pour paraphraser Alexis de Tocqueville “Trop souvent, la démocratie est traitée dans les discours politiques comme un concept purement théorique, voire une abstraction philosophique. Au niveau du gouvernement, nous souhaitons changer cette approche des choses. Nous ambitionnons de lui donner un contenu concret, et permettre à toute personne vivant dans ce pays de mesurer au quotidien la signification de sa citoyenneté. C’est pourquoi nous poursuivrons l’idéal d’une démocratie non pas imposée d’en haut, mais construite d’en bas”. Voilà ce qu’a dit le PM relativement à la démocratie burkinabè.

Pourtant il n’ignore pas que depuis plusieurs mois déjà, notamment au milieu 2009, la controverse est vive au sujet de l’article 37 : que pense-t-il alors de tous ces thuriféraires du pouvoir qui veulent sauter le verrou constitutionnel ? Est-ce vraiment la démocratie de la base au sommet que d’escamoter ce malheureux alinéa, pour permettre au locataire de Kosyam d’avoir un énième mandat en 2015 ? C’est vrai que ce sont les élites qui montrent le chemin, surtout dans un pays à 80% analphabète, mais démocratie rime-t-elle avec immobilisme ?

Nous partageons la vision de Tertius selon laquelle la “démocratie n’est pas un prêt-à-porter”, mais quand il y a des élections en trompe-l’œil et pas d’alternance du tout, il y a matière à questions que se sont posées opportunément les forumistes de l’Alternance de début mai 2009, sur le site du SIAO. La démocratie, même tropicalisée, doit posséder des aspects basiques dont l’un demeure le Changement.

Or au Burkina Faso, il y a une seule constante en politique : le chef de l’Etat Blaise Compaoré. En cette année du cinquantenaire, et sur les 6 présidents qui ont dirigé le Faso, l’actuel aura totalisé à lui seul, sur ce demi-siècle d’indépendance, 23 années de pouvoir suprême, et ce n’est pas fini. Tout émane de lui : élévations ou conduite au golgotha, bref toutes les permutations sont de son seul ressort : X est ministre aujourd’hui, demain ambassadeur, après-demain “reministre” ou patron d’institution. Le capitole ou la roche tarpeienne, c’est Blaise. L’illusion du neuf est là, mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est le même personnel politique du milieu des années 80 qui est aux manettes du Burkina, plombant toute une génération, celle des soixdizards, disons les quadra d’aujourd’hui.

Il n’y a assurément pas de renouvellement de la classe politique et, à l’image de la garde rouge dont les éléments se relaient à intervalles réguliers devant le palais de Kosyam, tout change pour que rien ne change politiquement au Burkina Faso. Finalement, cette démocratie de “bas en haut” ressemble au Canada dry, comme l’a écrit notre consœur de Jeune Afrique Fabienne Pompey : “Le Burkina Faso, c’est un peu le Canada dry de la démocratie… cette boisson sucrée qui avait l’aspect et la couleur de l’alcool, mais qui n’en était pas… le Burkina ne fait pas, contrairement à ses voisins ghanéen ou malien, figure d’exemple.

Il manque pour cela une véritable bataille électorale, un challenger, une possibilité d’alternance” (1). Tout est dit sur notre démocratie inachevée dans ces bouts de phrase.
- La santé, parlons-en. “En matière de renforcement du système de santé, l’accent a été mis sur la normalisation des centres de santé et de promotion sociale, 28 nouvelles maternités et 73 nouveaux dispensaires ont été construits dans ce cadre. Le nouveau centre hospitalier régional (CHR) de Banfora est en service, son inauguration est intervenue le 23 janvier 2010.

Les travaux de construction de 31 nouveaux Centres de santé et de promotion sociale (CSPS), des centres hospitaliers régionaux de Ouahigouya et de Tenkodogo ainsi que du Centre hospitalier universitaire (CHU) moderne de Ouagadougou se sont poursuivis. Les travaux de réhabilitation du CHU Yalgado-Ouédraogo suite aux inondations du 1er septembre sont en cours. D’une manière générale, le rayon d’action théorique en amélioration constante est à moins de 7,50 km à la fin décembre 2009… 1000 agents, toutes catégories confondues, ont été mis à la disposition du secteur de la santé”, dixit Tertius Zongo.

Au moment même où il prononçait son discours, combien de Burkinabè s’arrachaient les cheveux dans nos hôpitaux face à l’absence de soins de première nécessité ? Absence de médicaments, manque de personnels soignants, les dysfonctionnements dans nos temples de santé sont si criards que les nantis, pour un rhume ou un mal de tête, courent vers les cliniques privées si ce n’est vers l’Europe.

Si on ajoute à cela le fait que les médecins sont mal payés et que le “mercenariat” dans le privé est l’unique porte de sortie, sans oublier le paysan qui parcourt les 7,5 km pour se rendre à sa case de santé, mais souvent sans y trouver le personnel soignant ni le matériel de santé, à l’évidence le tableau de bord de notre système sanitaire affiche des clignotants rouges.

Prenons le juteux marché des médicaments de la rue. Ces horreurs qui tuent prolifèrent sur un terreau favorable : les défaillances de notre système de santé, si fait que le pauvre hère veut bien s’acheter même du générique en pharmacie, mais avec quoi ? Et comme le Premier ministre aime les trajectoires comparées, en prenant un pays comme le Bangladesh, pays pauvre s’il en est, le prix Nobel de paix 2006, l’éminent “économiste des pauvres” Muhamad Yunus a pu combler, grâce à sa Grameen santé, les lacunes du système public de santé de son pays avec une sorte d’assurance-maladie pour pauvres. “Pour un montant d’environ 2 dollars par famille et par an, on peut se soigner, les mendiants sont soignés gratuitement”, écrit-il dans son livre à succès (2).

- Où en est-on avec la justice au Burkina Faso, ce poteau central qui soutient tout Etat de droit ? “Au cours de l’année 2009, le renforcement de l’efficacité de la justice a été au Centre de nos préoccupations, le processus d’accélération des décisions de justice est bien en marche. Au cours du dernier trimestre de 2009, dans le ressort de la Cour d’appel de Ouagadougou, par exemple, il a été tenu 6 sessions de la Chambre criminelle (Kaya, Ouahigouya, Tenkodogo, Fada N’Gourma, Koudougou et Ouaga). Au total, 185 dossiers ont été enrôlés et jugés, dont deux de crime économique. Il n’est pas question d’avoir une justice à plusieurs vitesses, ni une justice différenciée par classes sociales… La justice burkinabè ne saurait non plus être à sens unique ou un instrument de vengeance aveugle. C’est pourquoi l’humanisation des établissements pénitentiaires devient progressivement une réalité… L’année 2009 a connu le démarrage des travaux de construction de la prison de haute sécurité à Ouaga, la poursuite des travaux de construction du bâtiment R+2 de la MACO”, paroles de Tertius Zongo.

On ne peut que saluer cette tentative de couverture judiciaire du territoire national qui est en branle, et chapeau bas à l’humanisation de nos prisons, car ce sont nos frères, nos sœurs, nos pères et mamans qui y sont pour s’amender. Du reste, comme l’a souligné en substance Alexandre Soljenitsyne, les geôles entraînent la déchéance morale mais laissent éclore aussi des âmes de saint. Et l’auteur de l’Archipel du goulag sait de quoi il parte (3).

Cependant, cette justice burkinabè possède des tâches noires : pendant qu’on poursuit et embastille souvent des voleurs de poulet, on a la vague impression que des criminels au col blanc narguent les honnêtes citoyens. Sumum jus, sumum injuria, s’était écrié Cicéron pour signifier que “la plus grande justice est la plus grande injustice” et nous ne pouvons qu’encourager le gouvernement à poursuivre cette réforme judiciaire pour rapprocher davantage la justice du justiciable.

- Dans l’Aventure ambiguë de Cheick Hamidou Kane, le personnage de la Grande Royale invitait les uns et les autres à envoyer leurs “enfants à l’école du Blanc”. L’éducation est l’une des clefs de tout développement. En 2009, foi du Premier ministre, 125 milliards de FCFA ont été injectés dans l’enseignement de base, les effectifs de l’enseignement général ont connu un accroissement de 10,4%, 40 CEG ont été construits, l’enseignement supérieur a vu les filières professionnelles innovées à travers l’adoption du système Licence-Master-Doctorat, l’effectif des étudiants dans les universités publiques a augmenté de 12% avec 46 855 étudiants, contre 41 779 en 2008. Sur 10 étudiants, 8 bénéficient d’une bourse, de l’aide ou du prêt.

Autant dire qu’avec 22% du budget du ministère de l’Enseignement supérieur accordé aux étudiants, ce serait injuste de crier à l’abandon. Soit, mais l’embrouillamini qui persiste depuis deux ans autour de l’année académique doit être éclairci. On nous serine à longueur de journée qu’avec le système modulaire il n’y a plus d’année blanche qui tienne. Mais comment comprendre qu’alors que certaines facultés sont toujours dans l’année académique 2008-2009, d’autres sont dans celle 2009-2010 ? Des étudiants de certaines facultés viennent d’avoir leurs résultats de la session de rattrapage, alors que d’autres ont les leurs depuis des lustres. Que faire de tous ces élèves-bacheliers qui rongent leur frein, au portillon des universités ? A quand une année académique normale ? Pas étonnant que le niveau de l’enseignement ait baissé de façon barométrique !

- La lutte contre la malgouvernance est “la” bataille de Tertius Zongo. D’emblée, la particularité de 2009 est que le ciel nous est tombé sur la tête, dans tous les sens du terme. Le cataclysme du 1er septembre a faussé tous les paramètres. A la décharge du gouvernement, les 3,20% de croissance de l’année écoulée et tous les desiderata économiques qui en ont découlé s’expliquent par le phénomène de septembre, mais aussi par la dépression mondiale due à l’éclatement de la bulle immobilière aux USA.

A propos de la question de la bonne gouvernance, on ne peut qu’applaudir l’assainissement du climat des affaires, qui permet de créer une kyrielle d’entreprises PME-PMI, tout en nous posant la question suivante : sur ces centaines de PME-PMI qui ont vu le jour, combien ont survécu ? “Désormais, la nomination à ces postes (DG) interviendra à l’issue d’une procédure de sélection, assortie d’un contrat d’objectifs”, a martelé le Premier ministre.

Qui peut être contre la méritocratie ? Maintenant il reste à attendre l’effectivité de cette approche et surtout son caractère pérenne pour se prononcer de façon objective. Quant aux passations de marchés, ne faut-il pas revoir la copie (critères ?) de l’offre la moins disante qui est toujours appliquée et affiner la dernière en date, celle de l’offre la plus avantageuse techniquement ? Et cette bonne gouvernance serait plus perceptible s’il n’y avait pas les nouveaux Crésus tropicaux qui roulent carrosse tout en cultivant une fausse discrétion.

D’abord, il y a ces immeubles qui poussent comme champignons après orage et dont certains propriétaires vont nuitamment voir l’évolution des travaux. Ensuite, il y a le marché des coffres-forts qui a explosé. Oui, vous avez bien lu, ça marche fort pour ces caissons qu’on garde chez soi.Les paradis fiscaux s’amenuisant chaque jour, et du fait que certains ont tellement mis leur argent dans le béton, assurant même des villas jusqu’à leurs petits-fils, ils n’ont pas trouvé mieux que de planquer leur trésor dans des coffres-forts, question d’éviter aussi que leurs rejetons ne commettent des “larcins”, dont certains épisodes ont défrayé souvent la chronique.

Et pourtant, on n’a pas besoin d’aller loin de Ouaga pour constater la misère exécrable dans laquelle croupissent les populations. Pour elles, autant le petit chien de M. Bergeret ne regardait jamais le bleu ciel incomestible, autant le taux de croissance, fût-il à 2 chiffres, n’est pas mangeable.

La Rédaction

Notes : (1) in Jeune Afrique n° 2554 du 20 au 26 décembre 2009. (2) in Vers un nouveau capitalisme de Mahamad Yunus. (3) in Alexandre Soljenitsyne, l’Archipel du Goulag, paru en 1973 et qui révéla les laideurs du communisme russe.

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